JavaScript requis

Le site web de P4H est conçu pour fonctionner au mieux avec Javascript activé. Veuillez l'activer dans votre navigateur. Si vous avez besoin d'aide, consultez https://www.enable-javascript.com/

Financer l'existence d'hôpitaux autonomes (Oui, une autre leçon de COVID-19) - P4H Network

Financer l’existence d’hôpitaux autonomes (Oui, une autre leçon de COVID-19)

Partout dans le monde, les systèmes de santé sont ébranlés dans leurs fondements par la pandémie de COVID-19. En mettant en lumière des risques ou des problèmes latents dont nous n’étions pas conscients, la crise constitue un test majeur pour nos cadres, la manière dont nous avons structuré nos agendas d’apprentissage, nos plans politiques et nos actions. COVID-19 et la crise financière qu’il a déclenchée pour le secteur hospitalier nous invitent à examiner le financement de la santé du point de vue des établissements de santé. L’Organisation mondiale de la santé et la Fédération internationale des hôpitaux s’associeront pour identifier les solutions possibles afin d’assurer l’avenir des hôpitaux autonomes et leur meilleure contribution à l’objectif de la couverture sanitaire universelle (CSU).

Auteurs : Bruno Meessen (OMS) et Eric de Roodenbeke (IHF)

Au cours des dernières décennies, notre compréhension collective du financement des systèmes de santé a beaucoup progressé. Il y a vingt ans, nous avons adopté le point de vue du gestionnaire du système de santé et avons développé une compréhension approfondie et détaillée des fonctions essentielles de tout système de financement de la santé (collecte de recettes, mise en commun et achat). Ce cadre a inspiré, structuré et soutenu des actions et des réformes dans de nombreux pays. Les pays à revenu faible et moyen (PRFM) ont par exemple commencé à étudier comment utiliser la fonction d’achat pour influencer les performances des prestataires. Peu après, nous avons adopté le point de vue des ménages et compris qu’au-delà du problème bien documenté de l’accès financier, il y avait le problème des dépenses de santé catastrophiques. Aujourd’hui, la protection financière fait l’objet d’un suivi à l’échelle mondiale et constitue un élément clé de l’objectif de développement durable en matière de santé publique.

Les établissements de santé en tant qu'”entreprises
Si nous avons accordé beaucoup d’attention à la manière dont les centrales d’achat pouvaient influencer les comportements des prestataires par le biais des méthodes de paiement, nous avons négligé le fait que de nombreux prestataires de soins de santé et d’autres acteurs spécialisés (par exemple, les distributeurs de médicaments, les laboratoires) sont des entreprises, c’est-à-dire des organisations autonomes qui sont responsables de leur propre viabilité économique (nous utilisons ce terme au sens large de l’économie organisationnelle : il couvre également des entités telles que les hôpitaux publics autonomes ou les centres de santé privés à but non lucratif, par exemple). Cela a des implications directes en termes de financement de la santé. Le capital doit être financé. Pour rappel, le capital va au-delà des infrastructures et des équipements, il couvre également les stocks et la trésorerie. La plupart d’entre nous qui travaillons sur le financement de la santé ne sont pas familiarisés avec les mécanismes de mobilisation des capitaux, le contrôle de leur “taux de combustion”, le suivi des flux de trésorerie et la résolution des problèmes de pénurie… Nous avons supposé que les fonds de roulement ne posaient pas de problème (peut-être parce qu’une grande partie de notre réflexion collective s’est concentrée sur les PFR-PRI où les établissements de santé gouvernementaux ne prennent pas de prêts et ne sont jamais en défaut de paiement ?) Nous avons considéré que les prestataires de soins de santé étaient “existants” et n’avons jamais envisagé que leur simple existence devait être financée. Pourtant, cela fait également partie du financement de la santé.
Ces hypothèses ne tiennent plus. Dans le monde entier, la crise du COVID-19 a soumis les établissements de santé autonomes, et les hôpitaux en particulier, à une pression financière sans précédent. L’American Hospital Association estime que les pertes financières pour les quatre premiers mois de la crise s’élèvent à 202,6 milliards de dollars pour les hôpitaux américains. Pour certains établissements de santé autonomes, le risque d’insolvabilité se profile : en raison d’un manque de liquidités (dû principalement à la réduction importante des recettes causée par le lockdown, mais aussi à une augmentation des coûts), ils ne seront pas en mesure de rembourser certaines sommes qu’ils doivent : à leur personnel pour le travail effectué au cours du mois écoulé, à la sécurité sociale pour l’assurance de leurs employés, à leurs fournisseurs pour certains équipements médicaux ou médicaments, aux banques pour les prêts qu’ils ont contractés en vue de certains investissements lourds, etc.
Pour surmonter la crise, de nombreux établissements de santé devront réduire leurs coûts (par exemple, le personnel d’incendie) ou obtenir une ligne de crédit auprès d’une banque, un rééchelonnement de leurs remboursements par leurs créanciers ou une injection de fonds par des actionnaires. Ceux qui n’ont pas suffisamment d’actifs pour rembourser leurs dettes seront mis en faillite, avec pour résultat possible la vente des actifs et la cessation totale des activités. Il ne s’agit pas seulement de petites cliniques privées sous-capitalisées : avant COVID, les hôpitaux publics des pays de l’OCDE se trouvaient déjà dans une situation financière critique, avec une masse salariale importante, une tendance générale à la réduction des investissements et un endettement croissant. En France, par exemple, la dette consolidée des hôpitaux publics s’élevait déjà à 30 milliards d’euros. Dans les PRFM, l’endettement était probablement moins important, mais le modèle économique de nombreux hôpitaux est également compromis par la baisse de l’utilisation et les coûts supplémentaires induits par la réponse.
Nous devons mieux comprendre les conditions préexistantes dans les différents contextes, les implications de la crise actuelle et nous assurer que les solutions s’intègrent bien dans le programme plus large des hôpitaux adaptés à l’objectif de la santé publique universelle.

Premiers enseignements
Partout dans le monde, les gouvernements n’observeront pas passivement l’effondrement du secteur hospitalier. Ils viendront avec des plans de sauvetage et les utiliseront probablement comme instruments politiques pour accélérer la transformation (parfois nécessaire) du secteur hospitalier. D’un point de vue politique, cela soulèvera des questions spécifiques dans les différents contextes. Dans de nombreux PRFM, la collaboration entre les autorités sanitaires et les prestataires privés a souvent été limitée ; des mécanismes d’engagement et des plateformes doivent encore être mis en place. Dans les pays à haut revenu et dans de nombreux pays à revenu intermédiaire, bien plus que la gouvernance générale, il s’agira surtout de développer des solutions techniques adaptées au statut déjà hybride du secteur hospitalier.
Comme l’illustre une analyse récente réalisée par Wilm Quentin de l’Observatoire européen des systèmes et des politiques de santé, ce domaine d’action recoupe dans une certaine mesure les systèmes de paiement des prestataires (la crise, par exemple, remet en question la dépendance excessive de certains systèmes de santé nationaux à l’égard des modèles de financement basés sur les résultats), mais pas totalement. La question qui se pose actuellement est celle de la gestion du manque à gagner résultant de l’interruption des activités habituelles et de ses conséquences directes sur la trésorerie des hôpitaux. C’est l’espace pour le nouvel agenda de la communauté du financement de la santé.
Quentin rapporte que certaines réponses ont été innovantes. “En Allemagne, une nouvelle loi a été approuvée à la fin du mois de mars, garantissant que les hôpitaux reçoivent des indemnités journalières (560 euros par jour) pour chaque lit vide jusqu’à la fin du mois de septembre 2020. En Belgique, les autorités fédérales ont créé une avance de trésorerie à court terme aux hôpitaux (d’un milliard d’euros), entre autres pour compenser les pertes de revenus. En Pologne, les hôpitaux du réseau public reçoivent leurs versements mensuels habituels malgré une activité considérablement réduite, et les hôpitaux en dehors du réseau peuvent demander à recevoir des versements mensuels pour des services contractuels en supposant que ceux-ci seront fournis plus tard au cours de l’année. En République tchèque, où les hôpitaux continuent de recevoir leurs mensualités habituelles, la question du manque à gagner ne se posera qu’en fin d’année, lorsque la facture annuelle sera réglée. En Suisse, les hôpitaux ne reçoivent pas de compensation financière pour la perte de revenus résultant de l’annulation des admissions non urgentes. Toutefois, les hôpitaux peuvent demander des crédits-relais et des indemnités de chômage partiel comme toute autre entreprise du pays. Si les hôpitaux demandent du chômage partiel, ils peuvent réduire leurs coûts salariaux, et 80 % de la différence entre le salaire actuel et le salaire normal de leurs employés sera couverte par le gouvernement”.
Ces différents exemples (dans le contexte spécifique de l’Europe où les hôpitaux autonomes sont bien intégrés dans les systèmes de santé publique) sont intéressants. L’exemple de l’Allemagne montre que les mécanismes de paiement des prestataires peuvent faire partie de la solution. Le cas de la Belgique suggère que le problème est peut-être principalement lié à la réactivité et à la gestion de la situation d’urgence (néanmoins, il sera nécessaire d’établir des règles pour un partage équitable du fonds de crise). Le cas de la République tchèque montre que, parfois, les systèmes de financement existants présentent déjà des caractéristiques très avantageuses. Le cas de la Suisse montre qu’une grande partie des solutions pourrait provenir de l’ensemble des mesures mises en place pour les entreprises en général.
Les gouvernements peuvent en effet faire preuve d’une grande créativité dans la conception de programmes de soutien aux entreprises privées : report de la perception de l’impôt, remaniement des règles comptables, subvention ou exonération fiscale de certains coûts, etc. Ces régimes et solutions ne sont pas conçus pour le secteur de la santé, certains pourraient être plus favorables à ce dernier que d’autres. Le secteur de la santé présente en effet certaines spécificités – la part importante de la main-d’œuvre dans la fonction de production, la non-versatilité de l’infrastructure… et plus fondamentalement la mission publique.
Dans leur dialogue avec les ministères des finances ou d’autres ministères (par exemple, le ministère du travail), les ministères de la santé pourraient également vouloir adapter les régimes à certains objectifs spécifiques. Dans certains pays, la privatisation du secteur hospitalier a pris des formes extrêmes au cours des dernières décennies ; les gouvernements nationaux ou locaux peuvent vouloir réinvestir le secteur et reprendre un certain contrôle. Dans presque tous les pays, des questions stratégiques seront posées dans le cadre de l’agenda “Mieux reconstruire”. Est-il pertinent de sauver, avec l’argent public, tous les hôpitaux en difficulté ou faut-il définir des critères ? Faut-il ajouter des conditions supplémentaires (par exemple, l’obligation de fusionner avec un autre groupe ou de cesser certaines activités) ? De nouvelles règles devraient-elles être appliquées (par exemple, l’obligation de communiquer certaines données sanitaires et économiques ou des mécanismes conduisant à une révision des prix à la baisse) ? Ces programmes seront déterminants pour la survie de nombreux hôpitaux, mais ils pourraient aussi être stratégiques pour jeter des bases bien plus solides pour le système de santé publique…
Le nombre de questions est énorme…

Voies à suivre
Au cours des deux dernières décennies, nous avons fait d’énormes progrès conceptuels et empiriques dans la compréhension de la manière dont les mécanismes de financement de la santé peuvent contribuer à la couverture, à l’efficacité et à l’équité. COVID-19 nous apprend que nous devons accélérer notre apprentissage de la durabilité de nos systèmes de santé.
Nous devons mieux comprendre le financement de la santé du point de vue des établissements de santé autonomes, puis, en comprenant ce point de vue, l’inscrire dans une perspective globale d’équité et d’efficacité du système de santé.
À l’OMS et à la Fédération internationale des hôpitaux, nous pensons que ce programme n’est pas seulement urgent en raison de la crise actuelle, mais qu’il est aussi mondial et pertinent à long terme. D’une région à l’autre, un nombre croissant de pays ont en effet souscrit à l’agenda d’une plus grande autonomie des établissements de santé, y compris pour leur secteur public. Cela soulève plusieurs questions stratégiques. Quel est le degré d’autonomie financière souhaitable dans un contexte spécifique ? Quelles sont les nombreuses implications de cette tendance mondiale, y compris pour des questions émergentes telles que la sécurité sanitaire ou l’inégalité sociale ? Comment cette orientation politique s’inscrit-elle dans le cadre de la mise en place d’un réseau de prestataires intégrés et de la réalisation de l’objectif de développement durable (UHC) ?
Nous souhaitons développer cet agenda d’apprentissage de manière très inclusive et progressive. Dans les semaines à venir, nous prendrons contact avec certaines parties prenantes afin d’identifier les problèmes et de convenir des premières mesures à prendre. Nous entamerons la conversation avec les organisations nationales de prestataires de services de santé affiliées à la Fédération internationale des hôpitaux, mais toute organisation membre mandatée pour promouvoir les intérêts des hôpitaux autonomes peut nous contacter. La documentation de la crise actuelle et, plus positivement, des réponses innovantes développées par les gouvernements, les fonds d’assurance et les hôpitaux eux-mêmes sera l’une de nos priorités. Nous prévoyons que le programme d’apprentissage nécessitera des collaborations transdisciplinaires (administration hospitalière, études commerciales, fiscalité et droit…), si vous avez une expertise dans ce domaine, n’hésitez pas à nous contacter. Il s’agira d’un long voyage riche en enseignements pour progresser vers notre objectif commun de “santé pour tous”.