NULL
Notre pays a adopté une loi sur la couverture sanitaire universelle, mais comment faire de cette couverture une réalité ? Dans une salle spacieuse et bien éclairée, de hauts fonctionnaires, des dirigeants politiques, des représentants de la société civile et des professionnels de la santé du Bénin, du Tchad, de la Côte d’Ivoire et de Madagascar débattent de ce défi. Cet article est également disponible en français. La couverture sanitaire universelle (CSU) signifie essentiellement que chacun reçoit les services de santé dont il a besoin sans subir de difficultés financières. Il s’agit d’un objectif clé parmi les objectifs de développement durable récemment adoptés dans le monde et de nombreux gouvernements ont fait avancer l’agenda de l’UHC en adoptant la législation correspondante. Pourtant, lorsque les pays se lancent dans la transformation de cet idéal en réalité, ils se heurtent souvent à des défis inattendus et, à maintes reprises, le processus s’enraye. C’est ici que le Le réseau P4H joint Le programme Leadership for Universal Health Coverage (L4UHC) entre en jeu. La réalisation de l’UHC au niveau national nécessite un leadership efficace, capable de surmonter les obstacles bureaucratiques, sociaux et autres en alignant les intérêts divergents, souvent conflictuels, des principales parties prenantes. Le programme alterne l’apprentissage et l’échange en groupe avec l’action des pays sur l’agenda de la santé publique universelle. Le premier cycle francophone de ce programme vise le Bénin, la Côte d’Ivoire, le Tchad et Madagascar. Des acteurs de haut niveau issus de différents ministères tels que ceux de la santé, des finances, de la planification, du travail et des affaires sociales, ainsi que des représentants de la société civile et des membres du parlement, se sont réunis pour une formation intensive – d’abord à Tunis en novembre 2016, puis avec un deuxième module de quatre jours à Rabat en janvier 2017. La réunion finale, qui se tiendra à Paris en mai 2017, sera consacrée à l’examen des expériences et à l’échange d’informations sur la voie à suivre pour atteindre l’objectif de la santé universelle dans les pays respectifs. Quelle a été l’expérience des dirigeants au cours de ce voyage jusqu’à présent ? Comment cela les transforme-t-il et transforme-t-il leur façon de travailler ensemble pour progresser vers la santé publique universelle ?
Un voyage de transformation personnel et collectif
Lors du module d’introduction à Tunis, nombre de ces dirigeants ont rencontré pour la première fois les autres participants de leur pays. Stimulé par les illustrations et les questions d’une excellente équipe d’animateurs internationaux, chaque groupe a réfléchi à la complexité des défis à relever sur la voie de la santé publique universelle dans son propre pays. C’est à partir de là que chaque groupe de pays a réfléchi à son rôle et à sa responsabilité en tant que leader : Comment peuvent-ils développer une vision commune de la santé publique universelle dans leur contexte national ? Que faudrait-il faire pour mobiliser d’autres parties prenantes afin de créer des coalitions efficaces pour le changement ?
Une dimension importante du programme consiste à sensibiliser les dirigeants à leurs propres perceptions, hypothèses et jugements et à la manière dont ceux-ci affectent leurs interactions avec d’autres parties prenantes. Pour l’un des représentants de la société civile, cette nouvelle perspective a marqué un tournant : J’ai eu l’impression que ce module avait été organisé pour moi. J’étais une fervente militante de la santé publique universelle, mais je dois admettre que ces derniers mois, j’avais perdu espoir : je pensais que c’était une cause perdue pour mon pays. Ces trois jours réunis me donnent la force de continuer. J’ai eu la chance de voir l’engagement des décideurs de mon pays. Avec un tel engagement de leur part, la société civile n’a aucune raison d’abandonner maintenant. Plus que jamais, nous devons poursuivre le dialogue”.
Exercices de réflexion
Deux mois plus tard, à Rabat, le deuxième module a permis aux participants d’approfondir leur compréhension collective et leur réflexion personnelle sur le leadership.
Dans le cadre d’un exercice, chaque participant a réfléchi à un défi personnel en matière de leadership, avec l’aide de deux autres participants jouant le rôle d'”anges”. Un “ange” encourage le participant à réagir au défi de la “manière habituelle”, tandis que l’autre encourage le participant à réagir d’une manière nouvelle, en prenant le risque de faire les choses différemment.
Dans un autre exercice, chaque équipe nationale s’est vu présenter un ensemble de blocs de construction et a été invitée à proposer une construction spécifique sans manipuler les blocs. Cet exercice pratique a aidé les participants à réfléchir à la manière dont ils négocient et parviennent à des accords entre eux. Les participants ont réalisé qu’en construisant une vision commune, ils peuvent adopter différentes approches : par exemple, créer à partir de ce qui est sur la table – la réalité – ou commencer par une vision, indépendamment des blocs qui sont sur la table.
Ces exercices ont permis aux participants d’approfondir leur réflexion sur ce que le leadership signifie vraiment pour eux, sur la manière dont ils peuvent devenir des leaders plus efficaces et sur ce qui fait le succès ou l’échec d’une coalition. Les participants ont ainsi eu l’occasion de s’engager dans le débat sur la santé publique universelle avec un état d’esprit complètement différent et à un autre niveau.
Apprendre des pays d’accueil par le biais de “voyages sensoriels”.
Dans les pays d’accueil, la Tunisie et le Maroc, les participants ont affiné leurs capacités d’écoute en interagissant avec les acteurs locaux impliqués dans l’avancement de l’agenda national de santé publique universelle. Des groupes de participants ont visité des hôpitaux, des compagnies d’assurance, les ministères de la santé, de l’économie et des finances et le cabinet du Premier ministre. Il s’est avéré délicat mais gratifiant pour les participants de s’engager dans des conversations ouvertes sur les questions de leadership personnel et collectif – les défis pratiques auxquels les parties prenantes ont été confrontées dans ces deux pays et la manière dont elles les ont relevés pour aller de l’avant.
Pour faire avancer le programme de santé publique universelle, les parties prenantes doivent dépasser leurs propres limites et se concentrer sur l’objectif global. Pour une stratégie nationale de santé publique universelle, cela peut signifier négocier et faire des compromis, et parfois aussi prendre “le chemin le plus long” pour tenir compte d’intérêts divergents, comme dans la réforme progressive du système d’assurance maladie au Maroc. Le “dialogue sociétal” organisé par la Tunisie après la révolution a également inspiré les participants en tant qu’exemple audacieux d’engagement de toutes les parties prenantes (soignants, citoyens, syndicats…) dans la redéfinition des priorités de leur pays en matière de santé publique universelle.
Activités dans les pays : prendre des mesures concrètes en faveur de la santé publique universelle
Entre le premier et le deuxième module, les équipes nationales ont jeté les bases d’une action concrète en faveur de la santé publique universelle. Dans chaque pays, l’accent a été mis sur le partage de l’expérience d’apprentissage, l’adhésion des plus hautes autorités et la création de larges coalitions pour commencer à construire une vision commune de la santé publique universelle. L’équipe du Bénin, inspirée par le dialogue sociétal tunisien, a même mobilisé des fonds auprès d’une ONG belge pour mener des consultations publiques sur la CMU et l’assurance maladie sociale dans 12 localités avec des travailleurs des secteurs informel et agricole.
Dès le début du programme à Tunis, chaque équipe nationale a réfléchi à l’action à court terme la plus efficace qu’elle pourrait mener pour aider son pays à progresser vers la santé publique universelle. Dans le deuxième module, cette réflexion s’est concrétisée par la planification d’initiatives d’action collective, à mettre en œuvre entre février et mai 2017 avec le soutien d’un coach local et des partenaires locaux de P4H. Ce qui est important dans l’initiative d’action collective, ce n’est pas seulement l’objectif, mais aussi la motivation et l’esprit de collaboration créés par le fait de travailler ensemble, de manière réfléchie, pour faire la différence. Chacune de ces initiatives s’inscrit dans le plan global de santé publique de son pays, dont elle “peaufine” un aspect particulier et sensible :
- Le groupe du Bénin a l’intention d’élargir les consultations sur la santé publique universelle avec le secteur informel pour y inclure les prestataires de soins de santé. Ils souhaitent notamment aborder les questions liées à la qualité des soins et aux expériences négatives de la gestion antérieure des cotisations sociales de santé.
- Le groupe de Madagascar fera pression pour l’élaboration interministérielle conjointe et l’adoption d’un “décret” visant à établir les deux institutions pour la mise en œuvre de la santé publique universelle, comme indiqué dans la stratégie de santé publique universelle du pays.
- Le groupe du Tchad prévoit un dialogue sociétal avec les travailleurs et les prestataires de services de santé dans trois régions pilotes en vue de rendre opérationnel le régime local d’assurance maladie.
- Le groupe de la Côte d’Ivoire prévoit de renouer le dialogue avec le nouveau gouvernement de son pays afin de mettre en place une coalition nationale pour la santé publique universelle et d’augmenter le nombre d’étudiants et d’employés du secteur privé inscrits à un régime pilote d’assurance maladie.
Toutes les initiatives nationales seront partagées et analysées lors du module final de L4UHC en mai 2017 en France.
Il est déjà évident que le programme L4UHC a contribué à catalyser une action coordonnée en faveur de la santé publique universelle dans les quatre pays. Les actions collectives et la réflexion menées tout au long de ce programme ne sont que le début du voyage. Ils constituent également une incitation importante pour toutes les parties concernées à continuer à progresser ensemble vers la santé publique universelle. Tout au long du programme, les dirigeants ne se contenteront pas d’apprendre et de parler, mais vivront et expérimenteront personnellement la différence qu’ils peuvent faire en unissant leurs forces et leurs efforts autour de la vision commune de la santé universelle. Comme l’a dit un participant de Madagascar, Ce qui était important dans ces modules, c’était de créer une équipe engagée à travailler ensemble, non seulement pour l’initiative d’action collective, mais aussi pour le succès de la santé publique universelle dans son ensemble.
Mary White-Kaba et Juliette Papy
Mars 2017