En Albanie, l’écart entre les hommes et les femmes en matière d’emploi s’explique en grande partie par les responsabilités non rémunérées des femmes en matière de soins, malgré les progrès réalisés dans les domaines de l’éducation et de l’égalité. L’expansion et la formalisation de l’économie des soins pourraient stimuler la croissance, l’emploi et les revenus. Le financement de ce projet nécessite des réformes fiscales, une réduction de l’informalité, une budgétisation sensible au genre, l’autonomisation des autorités locales et des partenariats avec le secteur privé, la communauté et les institutions donatrices afin de garantir des investissements durables.
L’Albanie a accompli des progrès notables en matière d’égalité des sexes grâce à des avancées dans les domaines de l’éducation, de la politique, de la santé et de la participation économique, mais des écarts persistants sur le marché du travail continuent de limiter les possibilités offertes aux femmes. Malgré l’augmentation du niveau d’éducation des femmes, leur participation au marché du travail reste inférieure à celle des hommes, ce qui s’explique en grande partie par la charge disproportionnée que représentent les soins non rémunérés. Les femmes, en particulier celles qui ont de jeunes enfants, restent les principales pourvoyeuses de travail domestique et de soins non rémunérés, ce qui empêche nombre d’entre elles de s’engager pleinement dans l’emploi formel. Cela limite à la fois l’égalité des sexes et le potentiel de croissance économique dans une population vieillissante et de plus en plus émigrée. Les estimations montrent que la réduction des disparités entre les sexes en matière d’emploi pourrait augmenter le PIB par habitant de 12 %, ce qui souligne l’importance économique des soins en tant que priorité sociale et de développement.
Le travail de soins non rémunéré en Albanie est immense, équivalant à plus de 1,3 million d’emplois à temps plein, les femmes effectuant 86 pour cent de ce travail. Ce secteur invisible représente près de 90 % de l’économie totale des soins, tandis que le secteur formel ou “visible” – l’éducation, la santé et les services domestiques – représente le reste. En termes monétaires, le travail non rémunéré représente plus de la moitié du PIB élargi du pays. Combiné, le travail de soins formel et informel contribue à hauteur d’environ 61 % à l’économie nationale, mais reste largement méconnu dans la politique et la planification fiscales. L’expansion et la formalisation de l’économie des soins offrent un immense potentiel : l’accès universel aux services de soins pourrait créer des milliers d’emplois, en particulier dans les domaines de la petite enfance et des soins aux personnes âgées, tout en renforçant les recettes fiscales, les cotisations de sécurité sociale et le système de retraite.
Toutefois, le financement de cette transformation constitue un défi majeur. La structure fiscale de l’Albanie est limitée par un faible ratio impôts/PIB de 17,8 %, bien en dessous de la moyenne de l’UE. Le système fiscal souffre de fragmentation, de nombreuses exemptions et d’une informalité généralisée. La taxe sur la valeur ajoutée (TVA) représente près de la moitié des recettes fiscales totales, suivie par l’impôt sur les sociétés et l’impôt sur le revenu des personnes physiques, les droits d’accise et les taxes nationales. L’élimination des exonérations de TVA inefficaces, la réduction de l’informalité et l’introduction de taxes foncières et de taxes sur le carbone pourraient accroître la marge de manœuvre budgétaire de l’Albanie de 5,5 % du PIB. Un système fiscal plus transparent, équitable et progressif améliorerait la mobilisation des recettes et renforcerait la base des investissements dans les services de soins.
Les stratégies de financement de l’économie des soins doivent s’appuyer sur des approches multiples. La réaffectation des dépenses vers la santé, l’éducation et les services sociaux, tout en réduisant les inefficacités, peut débloquer des ressources nationales. Les dépenses actuelles de protection sociale sont largement dominées par les pensions, ce qui laisse peu de place à l’investissement dans les infrastructures de soins. Les gouvernements locaux ne disposent pas non plus de lignes budgétaires dédiées à la prise en charge de la petite enfance, ce qui limite la couverture des enfants de moins de trois ans. L’élargissement des formules de financement aux crèches et le ciblage des ressources sur les zones où la couverture des services est faible permettraient de remédier aux inégalités.
La budgétisation sensible au genre (BSG) offre un autre moyen de donner la priorité aux investissements en matière de soins, tant au niveau national que local, en veillant à ce que les budgets reflètent les impacts et les résultats sexospécifiques. Le renforcement de la BSG parallèlement à la réforme de l’impôt foncier pourrait accroître l’autonomie fiscale des municipalités, ce qui permettrait un financement local plus durable. Les partenariats avec le secteur privé et la société civile peuvent permettre d’élargir encore l’offre de soins. Des partenariats public-privé bien conçus peuvent mobiliser des capitaux et des compétences pour les structures de garde d’enfants et de soins aux personnes âgées, à condition qu’ils prévoient des garanties en matière d’accessibilité financière, de transparence et de qualité. De même, les partenariats avec les communautés et les ONG peuvent combler les lacunes des services dans les zones rurales ou mal desservies, améliorant ainsi l’inclusion et la durabilité.
Alors que l’Albanie se rapproche de l’adhésion à l’UE, les possibilités de financement international offertes par des programmes tels que l’IPA III, le FSE et EU4Employment peuvent soutenir les investissements dans l’économie des soins. Des contributions parentales progressives et des subventions ciblées pourraient également promouvoir un accès équitable pour tous les groupes de revenus. Investir dans les services de soins n’est pas seulement une question d’équité entre les sexes, mais aussi de stratégie économique. En restructurant la fiscalité, en améliorant la gouvernance et en diversifiant le financement par des canaux publics, privés et communautaires, l’Albanie peut mettre en place un système de soins durable qui favorise l’emploi des femmes, renforce les familles et contribue à une croissance nationale inclusive.


