La couverture sanitaire universelle (CSU) et la protection sociale universelle (PSU) sont des objectifs complémentaires inscrits dans l’Agenda 2030 pour le développement durable. Alors qu’il ne reste que quelques années pour atteindre les objectifs de développement durable, il est urgent de renforcer ces synergies. La santé et le bien-être ne doivent pas être le privilège de quelques-uns. Une protection sociale équitable et solidaire est essentielle pour faciliter l’accès financier aux services de soins de santé et remédier aux inégalités socio-économiques qui ont un impact sur les résultats en matière de santé.
Messages clés :
- La protection sociale est un mécanisme de redistribution visant à protéger les personnes contre les risques sociaux et économiques. En tant que telle, elle peut apporter une contribution importante à une évolution plus large vers une économie qui favorise la santé et le bien-être des personnes dans les limites de la planète.
- Une protection complète tout au long du cycle de vie et des niveaux de prestations adéquats sont nécessaires pour maximiser l’impact des politiques de protection sociale sur la santé.
- La protection sociale en matière de santé peut et doit contribuer à uniformiser les conditions d’accès aux services de santé, en levant les obstacles financiers et en soutenant les soins de santé primaires.
- Les politiques de protection sociale de la santé sont une promesse vide si les services de santé ne sont pas accessibles, disponibles, acceptables et de bonne qualité. Une plus grande coordination avec le secteur de la santé et un plaidoyer commun en faveur des investissements dans les soins de santé et le personnel de santé sont nécessaires.
L’Assemblée générale des Nations unies a rappelé en septembre 2023 l’importance fondamentale des mécanismes de protection sociale pour atteindre l’objectif de la couverture sanitaire universelle (ONU, 2023). Les systèmes de protection sociale, y compris les planchers, soutiennent la santé et le bien-être en fournissant :
- l’accès aux soins de santé sans difficultés – en s’attaquant aux obstacles financiers et en encourageant la recherche de soins ; et
- la sécurité du revenu tout au long de la vie – en abordant certains des déterminants sociaux de l’équité en matière de santé.
Protection sociale de la santé pour protéger les personnes contre les coûts des soins de santé
La protection sociale en matière de santé fait référence aux mesures prises par les pouvoirs publics pour garantir des services de santé abordables et des prestations en espèces adéquates pour tous en cas de maladie (OIT, 2020b). Des pays comme le Rwanda ou la République démocratique populaire lao ont montré qu’il était possible d’étendre la protection sociale en matière de santé, même dans les pays à faible revenu (OIT, 2021c). Leur expérience démontre qu’un engagement politique et financier soutenu, ancré dans une approche fondée sur les droits, est indispensable pour ne laisser personne de côté.
Si la protection sociale en matière de santé s’est développée au cours des dernières décennies, d’importantes inégalités persistent entre les pays et à l’intérieur de ceux-ci.
Les données que nous compilons actuellement pour le prochain Rapport mondial sur la protection sociale, qui sera publié en septembre 2024, le mettent en évidence. Un examen des cadres juridiques montre que, dans le monde, huit personnes sur dix ont le droit d’accéder aux services de santé gratuitement ou moyennant une participation limitée aux frais (OIT, à paraître). Toutefois, dans les pays à faible revenu, seules six personnes sur dix bénéficient de ce droit en vertu de leur législation nationale. Il existe un fossé supplémentaire entre ces droits légaux et leur mise en œuvre dans la pratique, ce qui aboutit à une situation où moins d’un cinquième de la population est effectivement protégé par un régime social de protection de la santé dans les pays à faible revenu.
Figure 1 : Pourcentage de la population couverte par un régime de protection sociale en matière de santé (personnes protégées), par région, sous-région et niveau de revenu, 2020 ou dernière année disponible.
Source : OIT (2021) et Statistiques de la santé de l’OCDE (2020) : OIT (2021) et Statistiques de santé de l’OCDE (2020) ; données administratives nationales publiées dans les rapports officiels ; informations provenant d’enquêtes nationales régulières auprès de populations cibles sur la connaissance des droits.
Dans ce contexte, il n‘est pas surprenant que les dépenses de santé à la charge des patients augmentent, avec 1 milliard de personnes confrontées à des dépenses catastrophiques et près de 1,3 million de personnes plongées dans la pauvreté en 2019 (OMS et Banque mondiale, 2023). En l’absence de protection sociale, les personnes les plus vulnérables risquent de ne même pas chercher à se faire soigner. Les obstacles financiers restent l’une des principales raisons de renoncer aux soins (OMS et Banque mondiale, 2023). L’accès effectif est en outre limité par la pénurie de services de santé et leur répartition inéquitable. La majorité de la population mondiale n’est pas en mesure d’accéder à l’ensemble minimal de services de santé garanti par les normes internationales de sécurité sociale, les déficits les plus importants se situant en Afrique et en Asie (OIT, 2021c).
Ces chiffres cachent d’importantes inégalités au sein des pays. Par exemple, le manque de ressources pour payer les services de santé est identifié comme l’une des principales raisons du renoncement aux soins chez les femmes en âge de procréer dans 58 pays à revenu faible ou intermédiaire, selon un gradient social clair : deux tiers des femmes du quintile de revenu le plus bas renoncent aux soins pour cette raison, alors que c’est le cas de moins d’un tiers des femmes du quintile le plus riche (OMS et Banque mondiale, 2023).
Une action urgente est nécessaire dans quatre domaines prioritaires à l’horizon 2030 :
- Étendre la protection sociale en matière de santé de manière universelle. Plusieurs pays d’Afrique, tels que les Comores, la Côte d’Ivoire, le Maroc et la Sierra Leone, ont démontré leur engagement en adoptant récemment une législation sur la couverture sanitaire universelle et en ratifiant ensuite la convention n° 102 de l’OIT. Une mise en œuvre efficace n’est pas facile. Les pays doivent tirer parti des possibilités offertes par les outils numériques, soutenir les registres communs aux politiques sociales et renforcer la culture de la couverture obligatoire (OIT, 2021a). Par ailleurs, les modalités de financement ne doivent pas être utilisées comme critères d’éligibilité. Lorsque des cotisations sociales ou des primes réglementées sont utilisées pour financer la protection sociale en matière de santé, des mécanismes non contributifs doivent être mis en place pour garantir la couverture des personnes dont les capacités contributives sont insuffisantes et atteindre l’universalité.
- Garantir l’équité. La protection sociale de la santé peut et doit contribuer à uniformiser les règles du jeu afin de garantir l’égalité d’accès à des services de santé adéquats, en particulier dans les établissements de soins primaires. Les femmes, les personnes atteintes de maladies chroniques, de maladies de longue durée ou de handicaps, les personnes âgées, les travailleurs ayant un emploi vulnérable et les migrants ont tendance à se heurter à de multiples obstacles pour accéder à la protection sociale en matière de santé. Leurs besoins doivent être au centre des modalités de conception, de mise en œuvre, de financement et de participation à la vulgarisation. La protection sociale de la santé peut également apporter plus d’équité dans les contextes fragiles et contribuer à combler le fossé entre l’humanitaire et le développement (OIT et HCR, 2020b). Des pays comme le Rwanda et le Kenya se sont engagés à inclure les réfugiés au même titre que les nationaux dans leurs programmes de protection sociale de la santé afin de garantir un meilleur accès aux services de santé et d’améliorer l’état de santé des réfugiés et des communautés d’accueil (OIT et HCR, 2020a).
- Améliorer l’adéquation. Les politiques de protection sociale de la santé sont une promesse vide si les services de santé ne sont pas accessibles, disponibles, acceptables et de bonne qualité. Une collaboration entre les institutions responsables sous la tutelle du ministère de la santé est nécessaire. Pour garantir la fourniture de services de santé, il faut assurer un travail décent au personnel de santé, conformément aux normes internationales du travail [1].
[1]
(Commission de haut niveau sur l’emploi dans le secteur de la santé et la croissance économique, 2017). D’un point de vue opérationnel, il est essentiel que les établissements de santé bénéficient d’un financement proportionnel à la demande de services. Des systèmes d’information de gestion robustes, abordables et offrant une bonne interface au niveau des établissements de soins de santé sont nécessaires. - Assurer un financement durable fondé sur le principe de solidarité. L’OIT, en collaboration avec l’OMS, a estimé le déficit de financement des socles de protection sociale, y compris dans le domaine de la santé, qui sera publié en avril lors du forum sur le financement du développement. Dans ce contexte, des solutions innovantes sont nécessaires pour donner la priorité à la protection sociale et à la santé dans les budgets publics, mais aussi pour élargir la marge de manœuvre budgétaire grâce à un ensemble diversifié de mesures (OIT, 2021a). Ce faisant, les gouvernements doivent prêter attention à l’équité et garantir des sources progressives de recettes publiques (Durán Valverde et al., 2019).
La santé et le bien-être ne doivent pas être le privilège de quelques-uns. Le financement collectif, une large mutualisation des risques et des droits fondés sur les droits sont des éléments clés de systèmes de protection sociale de la santé solides et orientés vers la justice sociale. Il existe des outils pratiques pour étendre la couverture. D’une manière plus générale, pour surmonter les inégalités, il faut aborder de manière globale la protection financière contre les coûts de la maladie, en couvrant non seulement les coûts des services, mais aussi les coûts non médicaux tels que le transport et la perte de revenus pendant la convalescence, qui sont des déterminants clés de l’équité en matière de santé (OIT 2021b ; 2020a).
Protection sociale universelle pour soutenir l'équité en matière de santé tout au long de la vie
La santé et le bien-être sont fortement déterminés par les conditions dans lesquelles les gens vivent, travaillent, grandissent et vieillissent (Marmot, 2001). L’insécurité des revenus, la pauvreté, la vulnérabilité et l’exclusion sociale ont des répercussions négatives importantes sur la santé, affectant la sécurité alimentaire, l’éducation, le logement, les comportements en matière de soins de santé et d’autres déterminants sociaux de la santé. Les résultats en matière de santé, tels que les taux de mortalité infantile, les risques à vie de décès maternel pendant la grossesse et le post-partum, ainsi que les risques à vie d’invalidité à long terme, sont plus élevés dans les pays à faible revenu que dans les pays à revenu élevé, mais tendent également à être plus élevés pour les groupes sociaux ayant un faible niveau d’éducation et se trouvant à l’extrémité inférieure de la distribution des revenus au sein des pays (Commission des déterminants sociaux de la santé, 2008). Il est prouvé que les déterminants sociaux de la santé peuvent représenter jusqu’à 50 % des résultats en matière de santé, avec d’importantes inégalités (OMS, 2024). Les grandes tendances mondiales telles que le changement climatique et les menaces pour la sécurité sanitaire renforcent les inégalités sociales et économiques existantes qui sont responsables des inégalités en matière de santé et de bien-être à l’échelle mondiale et locale (Jay et Marmot 2009).
La protection sociale contribue à traiter les déterminants sociaux de l’équité en matière de santé, avec un rôle important pour la protection sociale adaptative dans le contexte actuel de crise climatique. Les études d’impact ont montré l’incidence positive de la protection sociale sur les comportements de recherche de soins et les résultats en matière de santé, par exemple pour les prestations familiales telles que la Bolsa Familia au Brésil (de Andrade et al., 2015). En outre, l’assurance chômage a des effets positifs sur la santé, y compris la santé mentale (Kuka, 2020). L’aide au revenu a démontré son impact sur la prévention, la détection et l’adhésion au traitement dans le contexte du VIH et de la tuberculose (OMS et OIT, 2024 ; OIT, 2021b). Plus largement, dans la région EURO de l’OMS, 35 % de l’inégalité en matière de santé autodéclarée entre les personnes les plus et les moins aisées est due à des ” différences systématiques de risque et d’exposition à l’insécurité des revenus et à l’absence ou à l’inadéquation de la protection sociale ” (OMS, 2019).
Pour maximiser l’impact de la protection sociale sur la santé et le bien-être, nous proposons deux priorités d’action :
- Étendre à tous la protection globale contre les risques liés au cycle de vie. Les systèmes de protection sociale qui ont atteint une couverture élevée de la population avant le début du COVID-19 ont été plus efficaces pour répondre à la pandémie et à d’autres épidémies que ceux dont la couverture était étroite (OIT, 2021c). Certains types de prestations, comme les prestations de maladie et de maternité, doivent faire l’objet d’une priorité, car elles sont à la traîne au niveau mondial. Avec plus de la moitié de la population mondiale qui n’est couverte par aucune prestation de protection sociale, il est urgent de passer à un agenda politique centré sur l’humain (OIT, 2021c).
- Garantir des niveaux de prestations adéquats pour soutenir efficacement la sécurité des revenus. Un examen global des données sur la réponse au COVID-19 a montré que les programmes de protection sociale jouent un rôle positif en amortissant les impacts socio-économiques des mesures sociales et de santé publique (MSSP), en particulier lorsqu’ils offrent un niveau adéquat de prestations (OMS, à paraître). Les stratégies de RPP devraient inclure la protection sociale et soutenir des systèmes de protection sociale durables offrant des niveaux de prestations adéquats (USP2030, 2023).
Pas d'UHC sans USP et vice-versa
Pour parvenir à une protection sociale universelle qui favorise la résilience individuelle et sociétale, il faut adopter une approche fondée sur les droits. Ces approches favorisent la prévisibilité, la transparence et la responsabilité dans la mise en œuvre des droits pour les détenteurs de droits, en promouvant des droits durables dans le temps qui résistent au court-termisme. Les systèmes de protection sociale sont d’une importance cruciale pour s’attaquer aux déterminants sociaux de la santé tout en évitant que les personnes soient confrontées à des difficultés financières lorsqu’elles accèdent aux services de santé, ou qu’elles renoncent complètement aux soins. En tant que mécanisme de redistribution visant à protéger les personnes contre les risques sociaux et économiques, les politiques de protection sociale peuvent apporter une contribution importante à une évolution plus large vers une économie qui promeut le bien-être humain et reste dans les limites de la planète.
Andrade, Luiz Odorico Monteiro de, Alberto Pellegrini Filho, Orielle Solar, Félix Rígoli, Lígia Malagon de Salazar, Pastor Castell-Florit Serrate, Kelen Gomes Ribeiro, Theadora Swift Koller, Fernanda Natasha Bravo Cruz et Rifat Atun. 2015. Déterminants sociaux de la santé, couverture sanitaire universelle et développement durable : Études de cas des pays d’Amérique latine”. The Lancet 385 (9975) : 1343-51.
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L’OIT. 2021c. Rapport mondial sur la protection sociale 2020-22: La protection sociale à la croisée des chemins – en quête d’un avenir meilleur. Genève.
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