Hélène Barroy (Organisation mondiale de la santé, Siège) ; Ding Wang (Organisation mondiale de la santé, Bureau régional du Pacifique occidental) ; Claudia Pescetto (Organisation mondiale de la santé, Bureau régional pour les Amériques) ; Joseph Kutzin (Organisation mondiale de la santé, Siège)
1. Utiliser la flexibilité budgétaire existante et les procédures de dépenses exceptionnelles pour financer les premières mesures
Dans la plupart des pays touchés, les systèmes de gestion des finances publiques offrent à l’exécutif une certaine souplesse dans l’utilisation des crédits budgétaires. La redéfinition des priorités par le biais de virements entre postes ou au sein des enveloppes des programmes budgétaires (dans la limite des seuils) est une première action autorisée pour garantir le financement budgétaire de la réponse immédiate à COVID-19. En outre, la plupart des cadres juridiques prévoient l’activation de fonds de réserve par l’exécutif dans les situations d’urgence. Par exemple, la déclaration d’une urgence nationale par le président permet à l’administration américaine d’utiliser la loi Stafford, une loi fédérale régissant les efforts de secours en cas de catastrophe, mettant à la disposition des États et des territoires 50 milliards de dollars de fonds d’urgence. De même, en Chine, la procédure d’ajustement budgétaire pour les situations d’urgence définie dans la loi de finances 2018 a été utilisée pour permettre des réaffectations budgétaires et l’activation de fonds d’urgence et de réserves.
Dans plusieurs pays, les membres les plus hauts placés de l’exécutif, tels que le chef de l’État ou le ministre des finances, peuvent également prendre des règlements d’urgence pour autoriser des dépenses urgentes en vue d’une réponse immédiate dans le cadre des budgets existants et par le biais de mécanismes d’approbation simplifiés. Le 31 janvier 2020, le ministère chinois des finances a publié un avis budgétaire qui sert de règlement budgétaire pour les détenteurs de budget, les entités infranationales et les acheteurs, afin de garantir un financement budgétaire rapide pour la prévention et le contrôle du COVID-19. De même, les chefs d’État ou les ministres des finances de plusieurs pays européens (par exemple, la France, l’Allemagne et l’Italie) ont eu recours à des décrets pour libérer des ressources budgétaires pour les prestataires de services. Les gouvernements des pays à faible revenu ont agi rapidement pour réduire les dépenses récurrentes et non prioritaires et pour redéfinir les priorités des dépenses publiques afin de répondre à la crise. Le ministre indonésien des finances a déclaré le 18 mars 2020 que le gouvernement mettrait fin aux dépenses non urgentes et réaffecterait jusqu’à 650 millions de dollars du budget de l’État à l’aide apportée par le COVID-19.
La flexibilité du budget de l’État permet à de nombreux pays d’augmenter les transferts budgétaires vers les niveaux infranationaux et les acheteurs. Dans la plupart des pays touchés par la pandémie, les niveaux infranationaux (par exemple les gouvernements provinciaux en Chine) et/ou les agences d’achat (par exemple les fonds nationaux d’assurance maladie en Corée et au Japon) ont délégué leur autorité en matière de dépenses de santé. Dans des conditions normales, ces niveaux reçoivent des transferts budgétaires approuvés dans le cadre du budget de l’État ou par le biais d’un processus d’élaboration et d’approbation budgétaire distinct (par exemple, une loi de finances distincte pour la caisse nationale d’assurance maladie en France). Au plus fort de la crise, la Chine a augmenté les transferts du budget central vers le Hubei, la province au centre de l’épidémie, pour les porter à 6,2 milliards de RMB pour la prévention et le contrôle du COVID-19 (à compter du 5 mars 2020). La France a adopté une augmentation budgétaire ad hoc de 2 milliards d’euros pour la caisse nationale d’assurance maladie afin de payer les masques et les tests.
2. Accélérer la révision des lois de finances afin de garantir un budget pour la réponse par l’affectation des dépenses.
La flexibilité existante dans l’utilisation des ressources budgétaires peut faciliter les dépenses urgentes. Cependant, l’ampleur des ressources nécessaires à la réponse requiert souvent des budgets supplémentaires. Le processus de promulgation du budget garantit le financement par l’affectation des dépenses. Dans plusieurs pays, le législateur a adopté des plans de dépenses pour la réponse (par exemple en Corée, en France, en Allemagne, au Japon, aux États-Unis et au Royaume-Uni). Les pays ont procédé à des estimations rapides des coûts et identifié les dépenses peu prioritaires, ce qui est préférable à des réductions générales. Cela dit, certains pays ont opté pour de telles mesures, avec des réductions de 15 à 30 % des budgets de fonctionnement des ministères non liés à la réponse. Certaines assemblées législatives ont adopté leurs projets de loi de finances selon des procédures réduites autorisées dans de telles situations d’urgence, souvent avec le soutien de tous les partis (soumis le 18 mars 2020 par le Premier ministre français et adopté le 19 mars par l’assemblée nationale et le 20 mars 2020 par le sénat), et en prenant des précautions sanitaires pour leurs votes.
Alors que plusieurs décisions exécutives ont été prises aux États-Unis au cours des deux dernières semaines, le 18 mars, la loi “Families First Coronavirus Response Act” a été promulguée avec le soutien bipartisan du Congrès. Le 25 mars, l’administration présidentielle et le Congrès sont parvenus à un accord en vue de l’adoption d’un plan d’aide sans précédent d’un montant de 2 000 milliards de dollars. Parallèlement, au moins douze États ont adopté des lois qui prévoient des fonds supplémentaires pour la lutte contre le COVID-19 ou qui autorisent un transfert de fonds à partir des fonds de réserve des États.
Dans un contexte de fermeture des législatures, le processus d’adoption a également été réduit. Par exemple, au Canada :
“Les estimations impliquent généralement une discussion détaillée des chiffres des dépenses au cours d’une semaine de réunions de commissions, mais cette procédure a été limitée à un débat de trois heures dans l’hémicycle. Le gouvernement a procédé à des changements radicaux pour accélérer les débats qui se sont prolongés tard dans la nuit. Si nous n’adoptons pas ce budget rapidement, nous n’aurons pas la certitude qu’au 1er avril, le premier jour de la nouvelle année fiscale, nous aurons les fonds nécessaires pour payer nos médecins et nos infirmières en cette période de crise”, a déclaré le premier ministre Jason Kenney à l’Assemblée législative de l’Alberta le 17 mars 2020.
Du point de vue de la formulation et de la structure du budget, les pièces justificatives doivent être aussi solides que possible. Les factures supplémentaires des États-Unis, de la France ou de l’Allemagne comprennent des estimations de coûts, des explications sur les réductions et les réaffectations, une description des activités prévues, ce qui est essentiel pour l’exécution et le suivi des dépenses. Par exemple, la proposition de la France pour sa loi de finances révisée est un document de 44 pages qui comprend quatre parties principales : un rapport sur la situation économique et budgétaire et la justification des modifications ; une présentation détaillée des modifications ; une analyse par programme des modifications ; et un cadre de performance. Lorsque les pays élaborent des budgets par programmes budgétaires, cela leur permet de regrouper les dépenses supplémentaires liées à la pandémie dans une enveloppe budgétaire réservée à la riposte. La France procède à des affectations en créant un programme budgétaire spécifique consacré à la réponse (c’est-à-dire le “plan d’urgence pour les crises sanitaires”), avec deux sous-programmes comportant chacun une action connexe. De même, dans le premier budget du nouveau gouvernement britannique, des dispositions prévoient des lignes de programme supplémentaires pour le Service national de santé (5 milliards de livres), à condition que d’autres changements dans le budget public soient présentés dans le budget de l’automne 2020. Les pays qui présentent des budgets par poste peuvent avoir besoin de créer une ligne temporaire de type somme forfaitaire/programme dans les budgets supplémentaires afin de garantir le financement et de faciliter le processus d’exécution de la réponse.
Dans d’autres pays très touchés, le plan de dépenses continue d’être mis en œuvre par le pouvoir exécutif en recourant à des procédures exceptionnelles sans qu’un nouveau budget soit adopté. Les dirigeants chinois ont géré leur réponse par une série d'”avis” du ministère des finances (31 janvier 2020 et 4 mars 2020) au niveau central depuis le blocage de Wuhan, adressés aux centres budgétaires, aux niveaux sous-nationaux, aux fonds d’assurance et aux prestataires de services. Le gouvernement central a adopté un processus d’affectation rigide pour réserver les fonds COVID. L’avis du ministère des finances publié le 31 janvier 2020 mentionne explicitement que les transferts affectés aux niveaux inférieurs ne doivent être utilisés que pour la réponse et interdit la fongibilité : “Avant, pendant et après l’événement, normaliser les procédures d’approbation des fonds et veiller à ce que les fonds soient réservés à un usage particulier. Il est strictement interdit d’utiliser les subventions financières pour des travaux de rénovation ou l’achat d’équipements, de matériel et de moyens de transport qui ne sont pas liés à la prévention et au contrôle des épidémies.
L’Australie, dont le nouveau budget devait être présenté à la mi-mai, a décidé de reporter la présentation du budget 2020-2021 au mois d’octobre en raison des incertitudes liées à l’élaboration d’un budget dans ce contexte. Entre-temps, le gouvernement a présenté un “projet de loi de finances”, une mesure de précaution utilisée en cas d’urgence pour assurer l’approvisionnement financier lorsque les projets de loi de finances ne sont pas adoptés dans les délais habituels.
3. Débloquer les fonds publics pour les prestataires de services de première ligne en temps voulu et faciliter le suivi des dépenses
Il est essentiel que les pays étudient les moyens de garantir que les ressources publiques sont mises à la disposition des personnes en première ligne par le biais de processus d’exécution budgétaire efficaces et en temps voulu. Tout au long de la crise, la Chine a fait preuve de souplesse dans les règles d’exécution. Dans un avis budgétaire du 31 janvier 2020 adressé aux entités infranationales et aux acheteurs, le ministère des finances a indiqué : “Les départements financiers locaux devraient accélérer le processus de décaissement, autoriser les crédits anticipés et accélérer les paiements pour répondre aux besoins de dépenses. Les départements financiers locaux à tous les niveaux devraient renforcer l’analyse et le jugement de la situation des fonds du trésor, ordonner et normaliser l’organisation de l’envoi des fonds, et si nécessaire, prendre des mesures telles que l’allocation anticipée et le paiement anticipé pour donner la priorité à l’allocation des fonds pour la prévention et le contrôle des épidémies”.
Si la flexibilité est assurée dans l’utilisation des ressources, les procédures de contrôle sont généralement ajustées pour accélérer le décaissement. La France a adopté une procédure d’autorisation de dépenses accélérée, dans laquelle une étape de la procédure d’autorisation de dépenses a été supprimée afin d’accélérer le déblocage des fonds. Dans la loi révisée, les montants complets sont automatiquement libérés pour l’autorisation de dépenses et sont égaux aux crédits. En d’autres termes, la capacité à dépenser est facilitée et accélérée. D’autres procédures de décaissement prioritaire peuvent être adoptées par les gouvernements dans le cadre de budgets supplémentaires afin d’accélérer la mise à disposition des fonds et/ou de permettre des achats rapides grâce à une procédure de passation de marchés simplifiée. Par exemple, des avances de trésorerie ont été mises en place en Chine, où des fonds d’assurance ont versé des avances aux établissements de santé afin de réduire la pression financière sur la province de Hubei. Au 19 février, les fonds d’assurance avaient déboursé plus de 17 milliards de RMB pour les établissements de santé. L’Australie a également alloué rapidement des crédits supplémentaires au niveau fédéral, en réservant des fonds aux réseaux de santé primaire pour la mise en place de cliniques respiratoires. Les pays peuvent également utiliser des contrôles ex post et/ou basés sur le risque (par exemple, concentrer les contrôles sur les coûts élevés tels que les achats importants ou les mises à niveau d’infrastructures qui sont plus susceptibles de faire l’objet d’une fraude), en particulier dans le cadre d’une gestion basée sur les liquidités.
Tout en accélérant le déblocage des fonds et en assouplissant les procédures de dépenses, les pays devraient agir pour garantir des mécanismes de notification et de responsabilité dans l’utilisation des ressources pour la réponse. Plusieurs pays ont commencé à définir des cadres de performance. Les nouveaux programmes budgétaires de la France s’accompagnent d’objectifs politiques clairement définis et d’indicateurs et d’objectifs de performance. Dans le même ordre d’idées, la Chine a renforcé les capacités de notification et de supervision au niveau provincial. Pour garantir la précision des rapports, l’IFIMS ou tout autre système utilisé pour le suivi des dépenses publiques doit être mis à jour pour refléter les changements dans les lignes budgétaires et permettre un rapport consolidé des dépenses COVID-19. Les enveloppes de programme peuvent faciliter le suivi des dépenses et garantir la responsabilité de l’utilisation des ressources, si toutes les dépenses liées à la pandémie doivent être déclarées sous le même code de programme.
Bien que des dépenses multi-acteurs soient souvent nécessaires, les autorités financières jouent généralement un rôle de premier plan dans la responsabilité financière de la réponse. Les nouveaux plans de dépenses sont généralement placés sous l’autorité du ministre des finances ou du premier ministre, comme en Chine, en Allemagne et en France. En France, le nouveau programme budgétaire relève du ministère du budget, tandis que les dépenses peuvent être exécutées par différents ministères et entités et comptabilisées sous le code de la mission budgétaire rapporté par le ministère du budget.
En conclusion, alors que la pandémie commence à se propager dans les pays à faible revenu et dans les contextes fragiles où les systèmes de gestion des finances publiques souffrent déjà de faiblesses systémiques, il est essentiel d’apprendre des pays à revenu plus élevé comment budgétiser la réponse. Dans ces circonstances exceptionnelles, il est plus que jamais nécessaire d’assurer un équilibre approprié entre la flexibilité et la responsabilité. Les gouvernements et le pouvoir législatif doivent garantir des fonds budgétaires suffisants, en reprogrammant les dépenses existantes et en affectant des fonds supplémentaires. Les fonds doivent être rapidement mis à la disposition de la ligne de front, tout en établissant des mécanismes efficaces de suivi des dépenses pour garantir l’utilisation effective des ressources et la responsabilité. Enfin, il est recommandé aux pays de s’engager le plus tôt possible dans le processus budgétaire afin d’obtenir une réponse rapide des sources nationales, tout en rationalisant les sources externes à cette fin.
Nous remercions Tomas Roubal (Bureau régional de l’OMS pour le Pacifique occidental), Valeria De Oliveira Cruz (Bureau régional de l’OMS pour le Sud-Est), Tsolmongerel Tsilaajav (Bureau régional de l’OMS pour le Sud-Est), Camilo Cid (Bureau régional de l’OMS pour les Amériques) et Agnès Soucat (Siège de l’OMS) pour leurs contributions.