La pandémie de COVID-19 nécessite un financement public suffisant pour garantir une réponse globale. Pour redéfinir les priorités en matière de dépenses publiques afin de protéger l’économie et de renforcer le système de santé, il faut que les dirigeants gouvernementaux agissent en temps voulu et que les finances publiques bénéficient d’un environnement favorable. Les pays les plus touchés ont adopté des approches différentes en matière d’allocation budgétaire, en fonction de leurs systèmes de gestion des finances publiques (GFP) et de leurs réglementations. Du côté des recettes du budget, des ajustements (par exemple par le biais d’emprunts) sont nécessaires pour faire face aux nouvelles contraintes économiques et fiscales. Du côté des dépenses, la rapidité de la prise de décision est nécessaire. C’est l’objet de ce blog.
AUTEURS
Helene Barroy, (Organisation mondiale de la santé, siège de Genève), Ding Wang (Organisation mondiale de la santé, Bureau régional pour le Pacifique occidental), Claudia Pescetto (Organisation mondiale de la santé, Bureau régional pour les Amériques), Joseph Kutzin (Organisation mondiale de la santé, siège de Genève), Ding Wang (Organisation mondiale de la santé, Bureau régional pour le Pacifique occidental), Joseph Kutzin (Organisation mondiale de la santé, siège de Genève), Ding Wang (Organisation mondiale de la santé, Bureau régional pour les Amériques).
Chaque pays doit mettre en place des procédures spécifiques pour allouer des fonds budgétaires suffisants aux interventions d’urgence. Afin d’éclairer la réponse budgétaire dans les pays où la pandémie pourrait se propager dans un avenir proche, un résumé des pratiques budgétaires observées dans certains pays durement touchés est fourni ci-dessous, dans le but d’éclairer les réponses d’autres pays à trois questions clés :
Quelles sont les mesures de dépenses immédiates qui peuvent être prises dans le cadre budgétaire existant ?
Comment obtenir des ressources pour la réponse à COVID-19 en révisant les lois budgétaires ?
Que peut-on faire pour accélérer l’exécution du budget et garantir que les fonds parviennent aux services de santé impliqués dans la première ligne de réponse ?
Utiliser la flexibilité budgétaire existante et les procédures de dépenses extraordinaires pour financer les premières mesures.
Les systèmes de gestion des finances publiques de la plupart des pays concernés offrent à l’exécutif une certaine souplesse dans l’utilisation des dotations budgétaires. La redéfinition des priorités par le biais d’une réaffectation des postes ou dans le cadre des dotations du programme (sous réserve de limites) est la première action autorisée pour garantir le financement budgétaire de la réponse immédiate de COVID-19. La plupart des cadres juridiques prévoient également l’activation de fonds de réserve par l’exécutif dans les situations d’urgence. Par exemple, la déclaration d’une urgence nationale par le président américain a permis à l’administration d’utiliser la loi Stafford, une loi fédérale régissant les secours en cas de catastrophe, pour mettre 50 milliards de dollars de fonds d’urgence à la disposition des États et des territoires. De même, en Chine, la procédure d’ajustement budgétaire pour les situations d’urgence définie dans la loi de finances 2018 a été utilisée pour permettre des réaffectations budgétaires et l’activation de fonds d’urgence et de réserves.
Dans plusieurs pays, les hauts responsables de l’exécutif, tels que le chef de l’État ou le ministre des finances, peuvent également adopter des réglementations d’urgence pour autoriser des dépenses urgentes en vue d’une réponse immédiate dans le cadre des budgets existants et par le biais de mécanismes d’approbation simplifiés. Par exemple, le ministère chinois des finances a publié une annonce budgétaire le 31 janvier 2020 qui servira de règlement budgétaire pour les détenteurs de budget, les entités infranationales et les entités adjudicatrices afin de garantir un financement rapide du budget pour la prévention et la lutte contre le COVID-19. De même, les chefs d’État ou les ministres des finances de plusieurs pays européens (France, Allemagne, Italie, par exemple) ont eu recours à des décrets pour libérer des ressources budgétaires au profit des prestataires de services de santé. Les gouvernements des pays en développement ont également réagi rapidement en réduisant les dépenses récurrentes et non prioritaires et en donnant la priorité aux dépenses publiques pour faire face à la crise. Le ministre indonésien des finances a annoncé le 18 mars 2020 que le gouvernement mettrait fin aux dépenses non urgentes et réaffecterait jusqu’à 650 millions de dollars du budget de l’État à l’aide apportée par le COVID-19.
La flexibilité du budget de l’État permet à de nombreux pays d’augmenter les transferts budgétaires vers les gouvernements infranationaux et les entités adjudicatrices. Dans la plupart des pays touchés par une pandémie, les niveaux infranationaux (par exemple les gouvernements provinciaux en Chine) et/ou les agences d’approvisionnement (par exemple les fonds nationaux d’assurance maladie en Corée et au Japon) se sont vu déléguer l’autorité en matière de dépenses de santé. Dans des conditions normales, ces gouvernements reçoivent des transferts budgétaires approuvés dans le cadre du budget de l’État ou par le biais d’un processus distinct d’approbation et d’élaboration du budget (par exemple, une loi de financement distincte pour le fonds national d’assurance maladie en France). La Chine a augmenté les transferts du budget central vers le Hubei, la province au centre de l’épidémie au plus fort de la crise, à 6,2 milliards de RMB pour la prévention et le contrôle du COVID-19 (à partir du 5 mars 2020). La France a adopté une augmentation budgétaire ad hoc de 2 milliards d’euros pour la caisse nationale d’assurance maladie afin d’acheter des masques et des tests.
Accélérer la révision des lois sur le financement public afin de garantir un budget pour la réponse par le biais de dépenses affectées.
La flexibilité existante dans l’utilisation des ressources budgétaires peut faciliter les dépenses d’urgence. Cependant, l’ampleur des ressources nécessaires à la réponse requiert souvent des budgets supplémentaires. Le processus d’approbation du budget garantit le financement par l’affectation des dépenses à des fins spécifiques. Dans plusieurs pays, le législateur a adopté des plans de dépenses pour la réponse à Covid-19 (par exemple en Corée, en France, en Allemagne, au Japon, aux États-Unis et au Royaume-Uni). Les pays ont procédé à des estimations rapides des coûts et identifié les dépenses peu prioritaires, ce qui est préférable à des coupes dans tous les secteurs. Cependant, certains pays ont opté pour de telles mesures, avec des réductions de 15 à 30 % dans les budgets de fonctionnement des ministères non répondants. Certaines assemblées législatives ont adopté des projets de loi de dépenses en recourant à des procédures autorisées uniquement en cas d’urgence, souvent avec le soutien de tous les partis (par exemple, le premier ministre français a présenté un projet de loi le 18 mars 2020, qui a été adopté le 19 mars par l’assemblée nationale et le 20 mars 2020 par le Sénat), en prenant des précautions sanitaires en vue du vote.
Aux États-Unis, à la suite de plusieurs décrets, la loi “Families First Coronavirus Response Act” a été adoptée par le Congrès le 18 mars avec un soutien bipartisan. Le 25 mars, la présidence et le Congrès sont parvenus à un accord pour approuver un programme d’aide sans précédent de 2 000 milliards de dollars. Parallèlement, au moins douze États ont adopté une législation autorisant un financement supplémentaire pour la réponse au COVID-19 ou un transfert des fonds de l’État pour le jour de la pluie.
Dans un contexte de fermeture des législatures, les processus de débat et d’approbation ont également été réduits. Par exemple, au Canada :
“Les estimations impliquent généralement une discussion détaillée des chiffres des dépenses au cours de réunions de commissions qui durent une semaine, mais cette procédure a été limitée à un débat de trois heures dans l’hémicycle. Le gouvernement a procédé à des changements radicaux pour accélérer les débats qui se sont prolongés tard dans la nuit. Si nous n’adoptons pas ce budget rapidement, nous n’aurons pas la certitude que le 1er avril, le premier jour de la nouvelle année fiscale, nous aurons les fonds nécessaires pour payer nos médecins et nos infirmières en cette période de crise”, a déclaré le premier ministre Jason Kenney à l’Assemblée législative de l’Alberta le 17 mars 2020.
Du point de vue de la formulation et de la structure du budget, les pièces justificatives doivent être aussi solides que possible. Les projets de loi supplémentaires des États-Unis, de la France ou de l’Allemagne comprennent des estimations de coûts, des explications sur les réductions et les réaffectations, une description des activités prévues, des informations essentielles pour la mise en œuvre et le suivi des dépenses. Par exemple, la proposition de la France dans sa loi de financement révisée contient un document de 44 pages et comprend quatre éléments : un rapport sur la situation économique et budgétaire et la justification des modifications ; une présentation détaillée des modifications ; une analyse des changements par programme ; et un cadre de suivi de la performance. Lorsque les pays formulent des budgets-programmes, cela leur permet de regrouper les dépenses supplémentaires liées à la pandémie dans un fonds spécifique (réservé) pour la réponse. Ainsi, la France a créé un programme budgétaire spécifique consacré à la réponse (“Plan d’urgence pour la crise sanitaire”), avec deux sous-programmes, chacun avec une action spécifique. De même, le premier budget du Royaume-Uni sous les dispositions du nouveau gouvernement comprend des postes supplémentaires pour le Service national de santé (NHS) de 5 milliards de livres, sous réserve de nouvelles modifications du budget public dans le budget de l’automne 2020. Les pays qui présentent des budgets par poste peuvent avoir besoin de créer une somme forfaitaire/un programme temporaire dans le cadre de budgets supplémentaires afin de garantir le financement et de faciliter le processus de mise en œuvre de la réponse.
Dans d’autres pays durement touchés, le programme de dépenses continue d’être mis en œuvre par le pouvoir exécutif en utilisant des procédures exceptionnelles sans qu’il soit nécessaire de promulguer un nouveau budget. Les dirigeants chinois ont géré leur réponse par une série de “notes” du ministère des finances (31 janvier 2020 et 4 mars 2020) au niveau central depuis la fermeture à Wuhan, adressées aux gestionnaires de budget, aux niveaux sous-nationaux, aux fonds d’assurance et aux prestataires de services. Le gouvernement central a adopté un processus rigide d’allocation des ressources pour séparer les fonds destinés au COVID-19. La “Note” du ministre des Finances publiée le 31 janvier 2020 mentionne explicitement que les transferts alloués aux niveaux infranationaux ne doivent être utilisés que pour la riposte et interdit leur interchangeabilité (non-fongibilité) : “Avant, pendant et après l’événement, normaliser les procédures d’approbation des fonds et veiller à ce que les fonds soient spécifiquement affectés à cet usage particulier. Il est strictement interdit d’utiliser les subventions financières pour la rénovation ou l’achat d’équipements, de fournitures et de moyens de transport qui ne sont pas liés à la prévention et au contrôle de l’épidémie.
L’Australie, dont le nouveau budget devait être présenté à la mi-mai, a décidé de reporter la présentation du budget 2020-2021 au mois d’octobre en raison des incertitudes liées à la préparation d’un budget dans le contexte de l’urgence. Entre-temps, le gouvernement a introduit une “loi de finances”, une mesure d’exception à utiliser en cas d’urgence pour garantir la disponibilité des ressources financières lorsque les lois de finances ne sont pas adoptées dans les délais habituels.
Débloquer des fonds publics pour les prestataires de services qui sont en première ligne pour apporter une réponse rapide et faciliter le suivi des dépenses.
Il est essentiel que les pays étudient les moyens de garantir que les ressources publiques sont mises à la disposition des prestataires de première ligne par le biais de processus d’exécution budgétaire efficaces et en temps voulu. Tout au long de la crise, la Chine a fait preuve de souplesse dans l’application des règles. Dans une note budgétaire du 31 janvier 2020 adressée aux entités infranationales et aux acheteurs, le ministère des finances a déclaré : “Les départements des finances locales devraient accélérer le processus de décaissement, permettre une allocation anticipée et un paiement accéléré pour répondre aux besoins de dépenses. Les services financiers locaux à tous les niveaux doivent renforcer l’analyse et l’évaluation de la situation des fonds de trésorerie, ordonner et normaliser l’organisation de la remise des fonds et, si nécessaire, prendre des mesures telles que l’allocation et le paiement anticipés pour donner la priorité à l’allocation des fonds pour la prévention et le contrôle des épidémies.
Au fur et à mesure que la flexibilité dans l’utilisation des ressources est assurée, les procédures de contrôle sont ajustées pour accélérer les décaissements. La France a adopté une procédure accélérée d’autorisation des dépenses, en supprimant une étape de la procédure d’autorisation afin d’accélérer le déblocage des fonds et d’assurer la liquidité. Dans la loi révisée, les montants totaux sont automatiquement libérés pour l’autorisation de dépenses et sont égaux aux crédits. En d’autres termes, la capacité à dépenser est facilitée et accélérée. Les gouvernements peuvent adopter d’autres procédures de décaissement prioritaire dans le cadre des budgets supplémentaires afin d’accélérer la mise à disposition des fonds et/ou de permettre des achats rapides grâce à des processus de passation de marchés simplifiés. Par exemple, des avances de trésorerie ont été mises en place en Chine, où des fonds d’assurance ont versé des avances aux établissements de santé afin d’alléger la pression financière pesant sur la province de Hubei. Au 19 février, les fonds d’assurance avaient déboursé plus de 17 milliards de RMB pour les établissements de santé. L’Australie a également fourni rapidement des allocations supplémentaires au niveau fédéral, en allouant des fonds aux réseaux de soins primaires et en créant des cliniques respiratoires. Les pays peuvent également utiliser des contrôles ex post et/ou basés sur le risque (par exemple, des contrôles ciblés sur les coûts élevés tels que les achats importants ou les rénovations d’infrastructures qui sont plus susceptibles de faire l’objet de fraudes), en particulier pour la gestion des fonds en caisse.
Tout en accélérant le déblocage des fonds et en assouplissant les procédures de dépense, les pays devraient veiller à ce que des mécanismes de notification et de responsabilisation soient adoptés pour l’utilisation des ressources allouées à la réponse. Plusieurs pays ont commencé à définir des cadres fondés sur les performances. Les nouveaux programmes budgétaires de la France s’accompagnent d’objectifs politiques clairement définis, assortis d’indicateurs de performance et d’objectifs correspondants. Dans le même ordre d’idées, la Chine a renforcé les capacités de notification et de suivi au niveau provincial. Les systèmes existants de suivi des dépenses publiques et d’établissement de rapports rigoureux devraient être mis à jour pour refléter les changements dans les lignes budgétaires et permettre l’établissement de rapports consolidés sur les dépenses liées à COVID-19. Les allocations de programmes peuvent faciliter le suivi des dépenses et garantir la responsabilité dans l’utilisation des ressources en permettant à toutes les dépenses liées à la pandémie d’être déclarées sous le même code de programme.
Si les dépenses nécessaires pour faire face à la pandémie impliquent de multiples acteurs, les autorités financières gouvernementales jouent un rôle majeur dans la responsabilité financière de la réponse. Les nouveaux plans de dépenses sont généralement placés sous l’autorité du ministre des finances ou du premier ministre, comme en Chine, en Allemagne et en France. En France, le nouveau programme budgétaire relève du ministère du budget, mais les dépenses peuvent être exécutées par plusieurs ministères et entités et comptabilisées sous le code budgétaire attribué par le ministère du budget.
En conclusion, alors que la pandémie commence à se propager dans les pays en développement et dans des contextes fragiles où les systèmes de gestion des finances publiques présentent déjà des faiblesses systémiques, il est utile de tenir compte de l’expérience des pays à revenu élevé sur la manière de budgétiser la réponse. Il est clair qu’il est plus important que jamais, dans ces circonstances exceptionnelles, d’assurer un équilibre approprié entre la flexibilité et la responsabilité. Les gouvernements et les assemblées législatives doivent garantir des fonds budgétaires suffisants en reprogrammant les dépenses existantes et en allouant des fonds supplémentaires. Les fonds doivent être mis à disposition rapidement en première ligne de la réponse aux services, tandis que des mécanismes efficaces de suivi des dépenses sont mis en place pour garantir une utilisation efficace et efficiente des ressources et la reddition de comptes. Enfin, il est recommandé que les pays discutent du processus budgétaire le plus tôt possible afin d’assurer une réponse rapide en utilisant les sources de financement nationales et, parallèlement, d’optimiser les sources externes pour atteindre le même objectif.
MERCI
Les auteurs souhaitent remercier Tomas Roubal (Bureau régional de l’OMS pour le Pacifique occidental), Valeria De Oliveira Cruz (Bureau régional de l’OMS pour l’Asie du Sud-Est), Tsolmongerel Tsilaajav (Bureau régional de l’OMS pour l’Asie du Sud-Est), Camilo Cid (Bureau régional de l’OMS pour les Amériques), Agnes Soucat (Siège de l’OMS à Genève) pour leurs contributions.